Les dangers de l'usage des outils IA pour faire ses plaidoiries en tant qu'avocat
L’usage des outils d’intelligence artificielle générative (IA) dans la préparation des écrits et des plaidoiries soulève des risques juridiques majeurs pour les avocats français. En effet, au-delà des questions techniques, l’avocat reste soumis aux règles strictes issues notamment de la loi du 31 décembre 1971, du règlement intérieur national (RIN) de sa profession, ainsi que de ses obligations déontologiques propres.
L'IA DANS NOTRE SOCIÉTÉ
C.Becouze
11/1/20256 min read
L'usage de l'IA dans le milieu juridique
Au cours des dernières années, l'intégration de l'intelligence artificielle (IA) dans le milieu juridique a pris de l'ampleur. C'est dans ce contexte, que les outils d'IA sont désormais utilisés pour une variété d'applications, notamment :
L'analyse des contrats
La recherche juridique
Le legal design
Néanmoins, les implications potentielles de l’utilisation de l’IA soulèvent des préoccupations légitimes qui méritent une analyse approfondie lorsqu’il s’agit de préparer une plaidoirie à l’aide d’une telle technologie. De ce fait, il est essentiel d’évaluer les risques liés à l’intégration de ces technologies lorsqu’elles sont utilisées pour rédiger une plaidoirie.
Les risques juridiques associés à l'utilisation de l'IA
L'utilisation des outils d'intelligence artificielle (IA) dans le domaine juridique, notamment pour la rédaction des plaidoiries, présente plusieurs risques juridiques importants. De ce fait, ces risques méritent donc d’être analysés de manière détaillée pour comprendre les obligations et limites de l’avocat lorsqu'il rédige une plaidoirie.
1. Risque d’atteinte au secret professionnel
Le secret professionnel constitue l’un des piliers fondamentaux de la profession d’avocat. En effet, il est inscrit à l’article 66-5 de la loi n°71-1130 datant du 31 décembre 1971 et réaffirmé à l’article 2.1 du règlement intérieur national de ladite profession (RIN).
Pour ceux et celles qui ne le savent pas le secret professionnel pour la profession couvre l'intégralité des confidences, informations, documents qui sont confiés à un avocat dans l'exercice de ses fonctions. En outre, cela couvre aussi tout ce que ce dernier peut apprendre dans le cadre de la défense des intérêts de son client. De ce fait, le secret professionnel est absolu, général et bien entendu illimité dans le temps. Par ailleurs, il est également d’ordre public, ce qui signifie que l’avocat ne peut y déroger que dans des cas très précis et strictement définis par la loi.
Il conviendra maintenant d'analyser la possible perte de contrôle sur les données personnelles du client par un avocat et les conséquences pour le professionnel du droit.
a. Les outils d’IA, un environnement techniquement non maîtrisé par l’avocat
La plupart des outils d’IA, notamment les modèles dits "intelligence artificielle générative (IAG), utilisent des serveurs distants (cloud computing), qui sont parfois situés hors de l’Union européenne. De ce fait, lorsqu’un avocat soumet à ces systèmes du texte, des documents pour générer une analyse, un argumentaire, une première version de plaidoirie, il transmet potentiellement :
Des données personnelles de son client
Des éléments de stratégie judiciaire
Des pièces couvertes par la confidentialité
Des faits sensibles liés au dossier
Or, ces informations sont alors traitées par une infrastructure qu’il ne contrôle pas. En effet, les informations transmises peuvent être administrée par un prestataire dont les modalités précises de traitement, de stockage, ainsi que de conservation des données peuvent donc être soit opaques, soit purement et simplement incompatibles avec les exigences déontologiques de la profession d'avocat.
De ce fait, il est essentiel d’évaluer les risques liés à la communication de données personnelles à des outils d’IAG lorsqu’ils sont utilisés pour rédiger une plaidoirie.
b. Le danger de la communication de données par l'avocat
La simple communication de données couvertes par le secret professionnel à un tiers non autorisé même s'il s'agit d'un prestataire technologique peut donc constituer une atteinte audit secret. En effet, l'avocat ne peut pas externaliser ou partager des éléments confidentiels avec un système qui n’offre pas :
Une conformité stricte aux exigences du secret professionnel de ladite profession
Des garanties de non-réutilisation des données
L’assurance d’un traitement strictement limité à la demande
Une sécurité informatique optimale afin d’éviter ou de limiter les risques de cyberattaques visant à dérober des informations juridiques potentiellement sensibles
De ce fait, l’usage d’un outil d’IAG non certifié ou bien non sécurisé peut donc être considéré comme un manquement au devoir de protection du secret professionnel par l'avocat.
En outre, les données du client sont des données personnelles, parfois même sensibles. Par conséquent, l’utilisation d'outils IAG dont les serveurs sont hébergés hors l'Union européenne ou insuffisamment transparente peut constituer :
Une absence de base légale pour transférer les données personnelles voir sensibles.
Un risque de sanction par la CNIL.
En effet, l’avocat doit garantir le respect du principe de minimisation et de sécurité des données à caractère personnel.
Il conviendra d'analyser les conséquences de la violation dudit secret par le professionnel du droit.
c. Les conséquences disciplinaires, civiles et pénales
Par ailleurs, la violation du secret professionnel, même s'il est non intentionnel, expose l’avocat à plusieurs types de responsabilités qui sont :
Disciplinaire : En effet, la communication d’informations couvertes par ledit secret constitue une faute disciplinaire qui peut entraîner :
Avertissement,
Blâme,
Interdiction temporaire d’exercice,
Radiation dans les cas vraiment graves.
Responsabilité civile professionnelle : En outre, si la violation dudit secret entraîne un préjudice pour le client (perte de chance à cause d'une stratégie juridique révélée…), l’avocat peut :
Voir sa responsabilité engagée,
Être tenu d’indemniser son client,
Engager la responsabilité de son assurance professionnelle.
Responsabilité pénale : Enfin, l'article 226-13 du code pénal sanctionne la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire de par son état, sa profession ou sa fonction. De ce fait, en cas de violation intentionnelle, l’avocat dont la responsabilité pénale est engagée encourt jusqu'à :
1 an d’emprisonnement
15 000 € d’amende
En outre, il faut savoir que même sans intention, la simple imprudence ou bien négligence d'un avocat dans l'utilisation d'outils d'IAG non sécurisés peut contribuer à caractériser une faute qui pourra engager sa responsabilité.
Enfin, il conviendra d’examiner les systèmes d’IAG et le risque majeur lié à leur fiabilité.
2. Risque d’erreur ou de contenu inexact (les hallucinations)
Les systèmes d’IAG, présentent un risque majeur de fiabilité. En effet, ces outils ne possèdent pas de compréhension juridique réelle. Ils ne sont pas capables de lire ce qu’ils écrivent, car ils se basent sur des modèles statistiques pour générer des réponses cohérentes. De ce fait, plusieurs types d’erreurs peuvent survenir :
Références juridiques inexistantes : L’IA peut citer des articles de loi, des décrets ou des textes réglementaires qui n’existent tout simplement pas.
Jurisprudence inventée : L’IA peut mentionner des décisions de justice totalement fictives ou carrément déformer des arrêts existants.
Interprétations erronées : Les systèmes IA peuvent donner des interprétations très simplistes d’un texte juridique pourtant très complexe. De ce fait, Ils peuvent omettre des nuances essentielles et donc proposer des analogies totalement inexactes.
En France, l’avocat est soumis à une obligation de compétence et de diligence. Cela implique qu’il doit maîtriser personnellement le droit applicable et vérifier la validité des informations. De ce fait, en l’absence de contrôle des outils d’IAG, l’avocat commet un manquement à son obligation de compétence, susceptible de lui être reproché en cas de problème lié à l’utilisation desdits outils.
En outre, l’avocature requiert l’utilisation de fonctions intellectuelles et stratégiques pour analyser, conseiller et défendre les intérêts d’un client, ce qui relève du libre arbitre professionnel et constitue un élément fondamental de la mission de l’avocat, protégé, de surcroît, par la déontologie de la profession. De ce fait, l’usage déontologique implique donc que les outils d’IAG soient uniquement des outils d’aide et non des décideurs, avec toutes les vérifications et adaptations nécessaires effectuées par le professionnel du droit lorsqu'il rédige sa ou ses plaidoiries.
Par conséquent, la solution réside dans un usage responsable, ainsi qu’équilibré, des outils d’IAG, où l’humain et la machine collaborent afin d’offrir des services juridiques de qualité, tout en préservant les valeurs fondamentales et importantes de la profession d’avocat.
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